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Armelle Hubault
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"Ma vie avec Rosetta": Interview avec Armelle Hubault

03/07/2014 2537 views 13 likes
ESA / Space in Member States / France

Pour l’ESA et ses partenaires, la mission Rosetta est incontestablement le fil rouge de l’année 2014. A cette occasion, nous vous proposons de découvrir le quotidien d'Armelle Hubault qui travaille à l'ESOC, le Centre européen d’opérations spatiales de l’ESA, situé à Darmstadt, en Allemagne. Elle nous explique son parcours avec Rosetta qui est, selon elle, "une mission qui a la particularité d'avoir toujours quelque chose de sensationnel en poche."

Armelle Hubault a rejoint la mission Rosetta en Septembre 2003, six mois avant le lancement, dans le cadre de son stage de fin d’études à l'EIGSI (Ecole d'Ingénieur en Génie des Systèmes Industriels) de La Rochelle. Une fois diplômée ingénieur généraliste, Armelle effectue un contrat « Young Graduate Trainee » (jeune diplômé) d’une durée d’une année avant d’être recrutée par la société allemande Telespazio VEGA Deutschland GmbH, toujours au sein de l’équipe Rosetta.

Armelle, quel est votre rôle aujourd'hui au sein de la mission?

Je fais partie de l'équipe de contrôle de Rosetta (en anglais, Flight Control Team), qui gère la mission au jour le jour : réception de la télémesure, envoi des télécommandes, planification des contacts avec la sond. Nous définissons également les phases de vol de la mission, nous testons et validons les procédures de vol et de gestion des imprévus. Nous sommes prêts à réagir en cas de problème, jour et nuit.

Je m'occupe plus particulièrement des aspects liés au sous-système de télécommunications, à l'atterrisseur Philae, ainsi qu'à l'instrument CONSERT, qui devra sonder l'intérieur de la comète pour révéler sa structure interne.

Je suis également responsable de notre système d'automatisation, qui se charge d'établir le contact avec Rosetta via les stations-sol de l'ESA et de la NASA, et d'envoyer les télécommandes qui ont été préparées pour les prochaines activités de la sonde.

Où vous trouviez-vous pour le réveil de Rosetta?
Je me trouvais dans la salle de contrôle principale de l'ESOC car je faisais partie de l'équipe chargée des premières activités post-hibernation. Il fallait établir le contact avec la sonde, dresser un bilan de son état après plus de trente mois sans information, évaluer la capacité de production des panneaux solaires et enfin commencer la reconfiguration en vue de la mission scientifique.

Comment l'avez-vous vécu?

Ce fût un moment vraiment très intense. Nous savions que la fenêtre de rétablissement du contact était large, mais au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient, la tension devenait palpable dans la pièce. Il y a eu quelques minutes particulièrement difficiles, juste avant que le contact soit établi, quand nous commencions tous à nous dire "et si... ?"

Heureusement, après nous avoir donné quelques cheveux blancs, Rosetta s'est annoncée et nous l'avons retrouvée dans le meilleur état possible.

Comment se déroule pour vous une journée type depuis le réveil de Rosetta?
Je commence généralement par passer dans la salle de contrôle pour m'assurer que tout est nominal. Ensuite la journée s'organise entre la résolution des problèmes observés, la préparation des activités futures, les tests à effectuer sur les simulateurs ou la réplique du satellite que nous avons à notre disposition, et l'amélioration continue de nos outils et moyens de contrôle.

Après avoir allumé et testé tous les instruments scientifiques entre mars en avril, nous sommes maintenant en train de manoeuvrer Rosetta pour la rapprocher en douceur de la comète et la satelliser, avant de commencer la cartographie complète de la comète. C'est une phase extrèmement critique et complexe pour laquelle il faut intégrer les observations de la comète par les caméras embarquées et les observations au sol aux commandes nécessaires aux manoeuvres de la sonde. Il ne reste ensuite que quelques heures pour assembler les commandes et les envoyer à bord à temps pour la manoeuvre. En cas de problème, nous risquons de passer devant la comète sans nous arrêter, ce serait critique.

Que ressentez-vous aujourd'hui à propos de Rosetta?

C'est une mission fascinante tant du point de vue scientifique que technique, et j'ai la chance de travailler avec des gens incroyablement talentueux, compétents et sympathiques. Après dix ans, j’ai également développé un lien fort avec la sonde elle-même, un peu comme si elle était un ami de longue date que je connais bien. Comme c'est aussi ma première mission, j'avoue que j'ai encore un peu de mal à me projeter sur « l’après Rosetta ».

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en ce moment dans la mission?

Il y a le délai de propagation, qui est une particularité à prendre en compte. Chaque activité doit être pensée de manière à pouvoir se dérouler sans danger à bord car si quelque chose se passe, nous ne le savons que 40 minutes plus tard ! Cela nécessite une manière différente de penser, que nous avons acquise au cours des dix dernières années.

L'autre difficulté majeure de la mission est que nous ne savons pas vers quoi nous allons. La comète nous est encore inconnue, et nous devons être prêts à toutes les éventualités. Sera-t-elle très active? Quel sera son potentiel gravitationnel? Sa rotation est-elle simple ou perturbée par ses émissions? Nous devons prendre en compte tous les différents cas, car pour que la mission soit un succès, nous n'avons que peu de marge d'erreur.

"J'ai développé un lien fort avec la sonde elle-même"
"J'ai développé un lien fort avec la sonde elle-même"

Quel est le moment à venir de la mission que vous attendez avec le plus d'impatience?

Rosetta a cette particularité d’avoir toujours quelque chose de sensationnel en poche. Il y a eu le passage auprès de Mars avec une éclipse pour laquelle le satellite n'était pas vraiment construit (et qui nous a donné un magnifique autoportrait !), les observations des astéroïdes Steins et Lutetia, qui étaient réalisées de manière autonome par la sonde puisque nous étions trop loin pour réagir en direct, et bien sûr l'hibernation, qui nous a privés du satellite pendant deux ans et demi.

Aujourd'hui, j'attends avec impatience l'arrivée de la première image « en gros plan » de la comète, cet astre que nous poursuivons depuis dix ans, et bien sûr l'atterrissage de Philae, extrêmement risqué, qui sera certainement l’un des moments les plus forts de la mission.

Avez-vous trouvé facilement votre place en tant que femme dans le secteur spatial, que l'on imagine très masculin?
Je n'ai jamais eu de difficulté de ce point de vue. Dès mes études, la population était principalement masculine et j'ai toujours été habituée à cet environnement. Ceci dit, la population féminine a nettement augmenté ces dernières années, sans doute parce que de plus en plus d'étudiantes osent se tourner vers des carrières techniques.

Il est vrai que le travail est parfois difficile à conjuguer avec la vie de famille car il arrive que certaines journées soient très longues ou que l'on doive revenir la nuit ou le week-end… mais le problème est le même pour mes collègues masculins.

Quel conseil pourriez-vous donner à un jeune qui souhaite travailler dans le secteur spatial?
L'ESA dispose de plusieurs programmes vers les jeunes qui sont une vraie chance pour ceux qui sont motivés par cet environnement, que ce soit en tant qu'étudiant:

(http://www.esa.int/About_Us/Careers_at_ESA/Student_placements2), jeune diplômé: (http://www.esa.int/About_Us/Careers_at_ESA/Young_Graduate_Trainees) ou jeune chercheur: (http://www.esa.int/About_Us/Careers_at_ESA/Postdoctoral_Research_Fellowship_Programme).

Les possibilités sont vastes car nous couvrons ici tous les aspects des opérations : le contrôle des satellites d'observation de la Terre, des sondes interplanétaires, des stations-sols qui permettent le contact avec les satellites, la dynamique de vol, la navigation ou encore l'étude des futures missions.
En ce qui concerne mon travail, le profil généraliste est un atout indéniable. Les opérations sont un environnement particulier et l'expérience ne s'acquiert pour ainsi dire que sur le tas. Il est également indispensable d'avoir une bonne maitrise de l'anglais car c'est la langue commune de travail. Il faut bien sûr être prêt à s'expatrier et à s'intégrer dans un pays étranger dont on ne maitrise pas forcément la langue au début. Et enfin, il faut tenter sa chance. Qui ne tente rien n'a rien !

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