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Claude Jamar
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Interview de Claude Jamar, DG du Centre Spatial de Liège : "La coopération internationale est notre meilleure référence"

13/03/2006 1339 views 0 likes
ESA / Space in Member States / Belgium - Français

Issu de l'Institut d'Astrophysique de l'Université de Liège, le Centre Spatial de Liège (CSL) constitue l'un des fleurons de l'Europe spatiale pour les essais de satellites et de leurs instruments. Mis en oeuvre par le Professeur André Monfils pour tester les équipements optiques à bord d'observatoires spatiaux, il est devenu le coeur du "spatiopôle" wallon qui est implanté dans le Science Park du Sart Tilman.

Le CSL, qui emploie quelque 106 personnes dans une infrastructure de 9 000 m², est dirigé depuis 1991 par le Professeur Claude Jamar. Celui-ci fut mis à l'honneur le 15 novembre lors de la Fête du Roi qui avait pour thème "Les Belges et l'Espace". A l’occasion des 1ers Space Days qui se tiendront à Liège, les 28 et 29 mars, Claude Jamar nous entretient des retombées et de l'avenir du spatial en Belgique.

Le Centre que vous animez fait partie du réseau des "facilités coordonnées" de l'ESA pour tester l'instrumentation des satellites. Comment votre infrastructure a-t-elle pu obtenir cette reconnaissance au niveau européen ?

Parce qu’elle fut la première à être reconnue comme "facilité coordonnée". En 1974, nous avons testé à Liège le radiomètre du premier satellite Meteosat. On était en pleine crise pétrolière et il fallait licencier du personnel dans l'attente d'autres essais. Nous avons alors négocié avec l'ESA la garantie d'activités récurrentes, de manière à maintenir en place une équipe spécialisée. Son soutien a été officialisé par un contrat de "facilité coordonnée" au sein de l'ESA. L'Agence a plus tard accordé ce statut à des centres de tests près de Munich en Allemagne, à Toulouse en France et à Noordwijk aux Pays-Bas.

Le CSL fait partie de l'Université de Liège ?

Le bâtiment a été racheté à la Région Wallonne par l'Université qui en est propriétaire. Mais les simulateurs d'environnement spatial, ce que nous appelons les FOCAL - l'abréviation de Facility for Optical Calibration at Liege -, sont la propriété de l'ESA. Ces cuves, installées dans des salles blanches, recréent les conditions du vide poussé et des variations de températures qu'on trouve dans l'espace. Plusieurs membres du CSL donnent des cours à l'Université et des étudiants viennent y faire des stages pour se familiariser aux exigences des techniques spatiales.

PlanckauCSL
PlanckauCSL

Votre infrastructure connaît actuellement une forte activité... ?

On doit faire face à un planning très serré, car plusieurs missions scientifiques sont actuellement en développement pour des lancements en 2007-2008. On vient de terminer pour le CNES, le Centre National d'Etudes Spatiales en France, des essais du satellite COROT qui doit détecter la présence de planètes autour d'étoiles. Pour l'ESA, on met à l'épreuve à des températures très basses des éléments des observatoires d'astrophysique Herschel et Planck, tout en faisant les essais des radiomètres destinés aux satellites Meteosat de l'organisation Eumetsat. Pour la NASA, on a testé le télescope dans l'ultraviolet de chacun des deux satellites STEREO qui vont être utilisés en symétrie de chaque côté de notre planète pour photographier simultanément notre étoile, le Soleil. Ils serviront à donner une vision en 3D de ce qui se passe dans la couronne solaire.

Lors d'un récent essai, vous auriez obtenu une température record ?

C'est vrai. En testant le prototype du satellite Planck équipé de l'instrument qui doit observer l'Univers dans l'infrarouge, nous sommes arrivés à descendre jusqu'à une température proche du zéro absolu. A 0,1 du degré Kelvin ou moins 273,1 degrés C. C'est la première fois dans le monde qu'on atteignait un tel résultat sur un engin de la taille d'un satellite.

Vous misez beaucoup sur la coopération internationale, en dehors de l'Europe ?

La coopération internationale est notre meilleure référence. Le CSL travaille depuis plusieurs années avec la NASA sur des missions scientifiques sur l'étude des relations Terre-Soleil. On se concentre du côté de la Chine et du Canada pour donner une suite à ces missions. Les Chinois nous ont demandé de calibrer un instrument qui doit être déposé sur la Lune pour observer la magnétosphère terrestre. Une coopération plus importante prend forme autour du projet Kuafu qui met en oeuvre trois observatoires spatiaux: le Kuafu-A sera positionné à 1,5 millions de la Terre et pointé vers notre étoile, tandis que les Kuafu-B1 et Kuafu-B2 seront satellisés autour de notre planète pour prendre des vues de façon simultanée des aurores qui se manifestent aux pôles Nord et Sud comme des corolles lumineuses. Nous sommes pressentis pour développer un instrument identique qui doit prendre place à bord de chaque satellite Kuafu. Cet équipement sera dérivé de systèmes que nous avons réalisés pour les missions SOHO de l'ESA et IMAGE de la NASA et qui fonctionnent actuellement dans l'espace.

Proba-2
Proba-2

Quel impact ont les activités du CSL pour la région liégeoise ?

Nos activités ne se limitent pas aux tests de systèmes spatiaux. Nous faisons de la recherche et du développement sur de nouveaux instruments d'observation pour de prochaines missions dans l'espace. L'objectif est de garder l'avance acquise en continuant de progresser. Notre impact en matière d'emplois est plutôt indirect. On a passé beaucoup de contrats aux sociétés liégeoises AMOS et Ateliers de la Meuse pour le matériel de simulation. Surtout, le CSL contribue à la reconversion industrielle en ayant un effet déclencheur de nouvelles technologies sous la forme de produits et services technologiques à haute valeur ajoutée. Après notre installation au Sart Tilman en 1983, nous avons été rejoints par les entreprises AMOS, Spacebel, Samtech, puis par l'incubateur Wallonia Space Logistics (WSL). Nous avons été le point de départ de tout un spatiopôle. Quand CSL est venu s'implanter, 33 personnes dépendaient de l'activité spatiale. Vingt ans plus tard, cette activité génère 300 emplois et son chiffre d'affaires dépasse les 25 millions d'euros.

Vous êtes à l'origine de Wallonia Space Logistics. En quoi était-ce une initiative originale à la fin des années nonante ?

Il faut y voir une extension naturelle du CSL, dans le cadre des trois rôles de l'Université: l'enseignement, la recherche, l'accompagnement socio-économique. Avec WSL, on peut s'impliquer dans le développement d'une région. On y fait de l'essaimage de résultats de la recherche universitaire vers des entreprises nouvelles qui ont besoin d'être maternées pendant quelques années afin d'assurer leur croissance. WSL était le premier incubateur de technologie spatiale en Europe. Il contribue à l'éclosion d'une dizaine de PME dans des produits et services dérivés d'activités dans l'espace.

Tests Planck CSL
Tests Planck CSL

Vous avez étudié un projet d'entreprise pour la fabrication et l'installation de panneaux solaires qui produisent de l'énergie avec un meilleur rendement. Qu'en est-il ?

Depuis quelques années, le CSL s'intéresse à des panneaux solaires rendus plus efficaces par l'emploi de concentrateurs de lumière. On a étudié la possibilité de séparer des bandes de cellules solaires par des structures qui concentrent la lumière sur ces cellules. On va tester sur orbite l'échantillon d'un tel panneau à bord de PROBA-2, le prochain micro-satellite "made in Belgium", qui servira de petit observatoire de l’activité solaire. L'ESA et Alcatel Alenia Space s'intéressent à notre technologie pour l'utiliser sur les puissants satellites de nouvelle génération. Le WSL propose de créer une entreprise qui fabriquerait ces panneaux non seulement pour des missions spatiales mais surtout pour des installations terrestres. L'idée serait de créer 70 à 80 emplois autour de cette activité industrielle.

A l'heure où l'Europe spatiale est en train de se redéfinir, avez-vous un souhait pour le CSL ?

Je me préoccupe beaucoup des aspects militaires des activités dans l'espace. Le CSL est parfaitement à même de tester l'opto-électronique des satellites-espions et d'analyser l'information contenue dans les signaux de radars spatiaux. Dans les années 90, on a fait pour la France les tests de l'instrument principal des deux premiers satellites du programme militaire Hélios. Les stratèges européens devraient avoir un programme cohérent d'observations spatiales à des fins de sécurité tactique. Il faudra que, d'une façon ou d'une autre, le CSL se trouve intégré dans une telle activité pour les tests de l’instrumentation optique. Si, comme aux Etats-Unis et toutes proportions gardées, l'Europe se dotait d'un programme spatial civil et d'un programme spatial militaire, ce serait bien pour sa recherche et son industrie spatiales.

A signaler que cet entretien, dans son entièreté, fait partie d’un dossier aéronautique et spatial publié par la revue W+ B (Wallonie Bruxelles) de la Communauté française de Belgique (Place Sainctelette, 2, 1080 Bruxelles). Son contenu peut être téléchargé à partir de la rubrique Publications de www.wbri.be.

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