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Le bouclier d'Huygens reçoit son isolation pour le voyage vers Saturne
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Premier arrivé sur Titan, le bouclier bordelais d’Huygens

04/02/2005 2130 views 1 likes
ESA / Space in Member States / France

Lors de sa rentrée dans l’atmosphère de Titan, la sonde Huygens était protégée par un bouclier thermique fabriqué dans les environs de Bordeaux. Historiquement, il s’agissait de la première capsule de rentrée atmosphérique jamais réalisée en Europe.

Après 7 ans et 3 mois de voyage, Huygens a abordé les couches denses de l’atmosphère de Titan le 14 janvier à 11h13 CET. En à peine trois minutes, la vitesse de la sonde était réduite de 6 km/s à 400 m/s grâce au frottement atmosphérique sur son bouclier thermique. A 11h23, celui-ci était largué et la sonde entamait une mission d’étude qui allait durer 3h44, dont 1h12 de données émises depuis la surface avant la perte de contact avec l’orbiteur Cassini. Pendant ce temps, à l’issue d’un plongeon de 160 km, le bouclier devenait le premier objet fabriqué par l’homme à atteindre la mystérieuse surface de Titan, couronnement d’une mission parfaitement remplie.

On l’aurait presque oublié, mais le bouclier d’Huygens est historiquement le premier système de rentrée jamais développé en Europe pour une mission spatiale orbitale. En effet, son développement (à partir de 1991) et son lancement (le 15 octobre 1997) ont précédé le vol de la capsule allemande Mirka (le 23 octobre 1997) et celui du Démonstrateur de Rentrée Atmosphérique ARD de l’ESA (le 21 octobre 1998), sans parler de l’infortuné Beagle 2 en 2003.

« Pour son premier essai, l’Europe a placé la barre très haut » reconnaît Patrice Plotard, responsable des véhicules de rentrée et d’exploration planétaire chez EADS Space.

Comme pour l’ARD, la réalisation de cet élément crucial de l’une des missions les plus ambitieuses jamais menées en Europe a été confiée à EADS Space Transportation (anciennement Aerospatiale), sur son site de Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux.

Des technologies éprouvées

Le bouclier en préparation
Le bouclier en préparation

Le bouclier d’Huygens se présente comme une soucoupe de 2,75 m de diamètre, réalisée de fibre de carbone, renforcée par une structure d’aluminium en nid d’abeille et recouverte d’une protection thermique de 18 mm d’épaisseur environ. Celle-ci est constituée de plus de 200 dalles d’un composé dénommé AQ60 développé dans les années 1980 pour les programmes de missiles balistiques français. Il s’agit d’un matériau ablatif – qui s’érode au cours de la rentrée – à base de fibres de silice dans une matrice de résine phénolique, à la fois très isolant et très léger.

« Ce matériau a été retenu selon plusieurs critères » explique Patrice Plotard. « Il devait s’agir d’un matériau européen, léger, avec des qualités de robustesse démontrées et une bonne maturité technologique ».

L’arrière du bouclier a été recouvert d’une couche de 2 mm de Prosial, un autre composé isolant à base de sphères de silice creuses en suspension dans un élastomère de silicone couramment utilisé par l’industrie aéronautique pour la protection anti-incendie.

L’ensemble pèse moins de 80 kg et devait être capable de survivre à un flux thermique de l’ordre de 1 MW/m2 pendant la rentrée, avec des températures à la surface du bouclier pouvant atteindre 1 500°C, dans une onde de choc en avant de la sonde qui pouvait atteindre, elle, les 8 000°C.

Coup de chaleur

Entrée à très grande vitesse
Entrée à très grande vitesse

Les défis ne manquaient pas pour ce développement. En premier lieu, du fait de la vitesse orbitale importante de la sonde autour de Saturne, la rentrée dans l’atmosphère s’est effectuée à très grande vitesse, générant des contraintes thermomécaniques extrêmes. Il a ainsi fallu gérer les interfaces entre des matériaux dotés de coefficients de dilatation très différents, comme l’aluminium et la fibre de carbone.

« Compte tenu de l’importance des flux à dissiper en radiatif, nous avons dû concevoir notre protection thermique au travers d’une approche système complète avec le reste de l’équipe industrielle ». Alors que la température du plasma dans l’onde de choc en avant du bouclier était supérieure à celle de la surface du Soleil, à l’intérieur de la sonde, les instruments scientifiques et les autres équipements doivent être maintenus à des températures relativement clémentes.

De plus, il a fallu adapter les modèles de calcul aérothermodynamiques à la chimie d’une atmosphère nouvelle, contenant de l’azote et du méthane et qui ne se comporte pas comme l’air terrestre. Cela a nécessité une adaptation des moyens d’essais en soufflerie et pour les matériaux.

« Des essais préalables ont été réalisés à l’aide de torches à plasma dans l’installation Simoun naguère développée pour le programme Hermes et modifiée pour simuler le flux d’une atmosphère d’azote », souligne Patrice Plotard.

Plongeon dans l’inconnu

Mission accomplie, le bouclier est largué
Mission accomplie, le bouclier est largué

Les incertitudes existant sur la chimie exacte de l’atmosphère de Titan ont obligé les responsables du programme à prévoir des marges conséquentes.

« Nous avions prévu une marge de l’ordre de 75% au niveau du calcul des flux thermiques lors du dimensionnement du bouclier » explique Jean-Pierre Lebreton, responsable scientifique et technique de la mission Huygens à l’ESA. « Nous avons bien fait car par la suite nous avons dû revoir ces flux à la hausse et la marge a été érodée, mais elle est restée dans des limites acceptables pour la qualification de la mission ».

Les mesures réalisées par Cassini lors de ses premiers survols de Titan ont également été de bon augure : « Les concentrations de méthane détectées étaient plutôt vers le bas de la fourchette envisagée pour nos modèles, or ce gaz est générateur de flux thermiques élevés. De plus il n’y avait pas trace de grande concentrations d’argon, ce qui constituait également une bonne nouvelle pour les flux thermiques ».

Lors de son périple de sept ans à travers le système solaire, le bouclier était protégé par une quinzaine de couches d’isolants aluminisés afin de permettre le contrôle thermique de la sonde durant les différentes phases du vol, qui l’a amené vers Vénus et Jupiter avant d’atteindre Saturne en juillet dernier. Cet isolant a été déchiré et détruit dès les premières secondes de la rentrée, dévoilant le bouclier en AQ60.

« En sept ans, le bouclier risquait d’être endommagé par des micrométéorites », note Patrice Plottard. « Nous avons donc effectué des simulations de tels impacts pour nos essais afin de qualifier les capacités du bouclier, même en cas de dégradation légère ».

Il sera difficile d’expertiser le bouclier pour savoir si toutes ces précautions étaient nécessaires. Il gît désormais à la surface de Titan, dans une région encore anonyme à ce jour, par environ 10° S et 160° E.

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Jean-Pierre Lebreton
Responsable scientifique et technique de la mission Huygens
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Patrice Plottard
Véhicules de rentrée et d’exploration planétaire
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