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Webb's portrait of the Pillars of Creation (MIRI)
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Comment MIRI est devenu l’instrument le plus fascinant du télescope Webb

09/11/2022 4776 views 13 likes
ESA / Space in Member States / France

Le télescope spatial James Webb mis au point par la NASA, l’ESA et l’Agence spatiale canadienne (CSA) est considéré comme le successeur du télescope spatial Hubble de la NASA et l’ESA. En réalité, il est bien plus que cela. Avec l’ajout de l’instrument Mid-InfraRed (MIRI), Webb est également devenu le successeur des télescopes spatiaux infrarouges tels que l'ISO, l'Observatoire spatial dans l'infrarouge de l’ESA et le télescope spatial Spitzer de la NASA.

Observé dans les longueurs d’onde du moyen infrarouge, l’univers est un endroit très différent de celui que nous avons l’habitude de voir à l'œil nu. L’infrarouge moyen, s’étendant de 3 à 30 micromètres, révèle des objets célestes avec des températures comprises entre 30 et 700° C. Dans ce régime, les objets qui apparaissent sombres dans les images en lumière visible brillent désormais avec éclat. 

Par exemple, les nuages de poussières dans lesquels se forment les étoiles ont tendance à se situer dans cette plage de températures. En outre, les molécules sont plus faciles à voir dans ces longueurs d’onde. « C’est une gamme de longueurs d’onde vraiment passionnante en termes de chimie que l'on peut explorer, qui permet de mieux comprendre la formation des étoiles et ce qui se passe dans les noyaux des galaxies », a déclaré Gillian Wright, responsable du consortium européen qui a réalisé l’instrument MIRI.

MIRI a scruté le cœur de M74, la Galaxie du Fantôme pour révéler les délicats filaments de gaz et de poussière dans les bras spiraux de la galaxie.
MIRI a scruté le cœur de M74, la Galaxie du Fantôme pour révéler les délicats filaments de gaz et de poussière dans les bras spiraux de la galaxie.

Nos premiers vrais aperçus du cosmos dans l’infrarouge moyen proviennent de l’ISO, qui était opérationnel entre novembre 1995 et octobre 1998. Arrivé en orbite en 2003, Spitzer a continué de faire des progrès à des longueurs d’onde similaires. Les découvertes de l’ISO et de Spitzer ont mis en évidence le besoin d’une capacité dans l’infrarouge moyen avec une plus grande zone de collecte offrant une meilleure sensibilité et une meilleure résolution angulaire pour faire progresser de nombreuses grandes questions en astronomie. 

Gillian et d’autres scientifiques ont alors commencé à rêver d’un instrument capable de voir dans l’infrarouge moyen dans les moindres détails. Malheureusement pour eux, l’ESA et la NASA ont choisi les longueurs d’onde plus courtes de l’infrarouge proche comme principal objectif de Webb. L’ESA a pris en charge la construction d’un spectromètre proche infrarouge, devenu NIRSpec, et la NASA s’est penchée sur un imageur, devenu NIRCam. 

Lorsque l’ESA a lancé un appel à propositions visant à étudier son spectromètre proche infrarouge, Gillian et ses collègues, loin d'être découragés, ont vu une chance de réaliser leur rêve. 

« J'étais à la tête d'une équipe qui n'a pas manqué d'audace. Elle a dit qu'elle étudierait le spectrographe proche infrarouge, mais qu'elle souhaitait également un canal supplémentaire pour réaliser des observations dans l’infrarouge moyen. Nous avons présenté les arguments scientifiques expliquant pourquoi les observations astronomiques dans l’infrarouge moyen avec Webb seraient sensationnelles », a-t-elle ajouté. 

Bien que son équipe n’ait pas remporté le contrat, cette idée ambitieuse a contribué à rehausser le profil de l’astronomie dans l’infrarouge moyen en Europe, et elle a été invitée à représenter ces intérêts scientifiques dans une autre étude de l’ESA visant à examiner la capacité de l’industrie européenne à construire une instrumentation infrarouge. Appuyée par les institutions universitaires de toute l’Europe, une partie de cette étude a été consacrée à l’instrumentation dans l’infrarouge moyen. 

Les résultats ont été si encourageants, tout comme ceux provenant des études parallèles menées par les États-Unis, que l'intérêt autour d’un tel instrument n'a cessé de croître En rassemblant en Europe des collaborateurs scientifiques et des ingénieurs de plusieurs pays désireux et capables de concevoir et de construire l’instrument, et surtout de lever des fonds pour mettre en œuvre le projet, Gillian et son équipe ont encouragé et progressivement convaincu l’ESA et la NASA de l’intégrer sur Webb.

MIRI et NIRCam révèlent un paysage de montagnes et de vallées où se forment des étoiles dans la nébuleuse Carina.
MIRI et NIRCam révèlent un paysage de montagnes et de vallées où se forment des étoiles dans la nébuleuse Carina.

Les grands consortiums ne sont pas un moyen inhabituel de construire des instruments pour les engins spatiaux en Europe. L’ESA construit souvent le vaisseau spatial ou le télescope, puis s’appuie sur des consortiums d’institutions universitaires et industrielles pour collecter des fonds auprès de leurs gouvernements nationaux afin de construire les instruments. Cette pratique est cependant inhabituelle aux États-Unis, où la NASA finance généralement également l’instrumentation. 

Accroître le leadership européen selon cette méthode de travail dans le domaine de la collaboration internationale avec les États-Unis, sur une mission phare de la NASA où la culture de la construction d’instruments est si différente, n’était donc pas gagné d’avance. 

« Notre plus grande crainte était que cette complexité soit une véritable menace à la mise au point de l’instrument », a déclaré Jose Lorenzo Alvarez, responsable de l’instrument MIRI pour l’ESA. 

Mais le pari a payé, comme l’explique Jose : « C’était surprenant de voir le changement d’attitude entre des personnes aux cultures de travail tellement différentes. Dans les premières années, nous étions dans une phase d’apprentissage. Au final, MIRI, qui était plus complexe au niveau organisationnel, a été le premier instrument à être livré. » 

En plus de lever leurs propres fonds, le consortium avait reçu une autre mise en garde : l’instrument ne devait avoir aucun impact sur la température de fonctionnement et l’optique de Webb. En d’autres termes, le télescope serait optimisé pour les instruments proche infrarouge, MIRI acceptant tout infrarouge qu’il pourrait recevoir. Cela limiterait les performances de l’instrument au-delà de dix micromètres, mais c’était un petit prix à payer pour Gillian. « Je n’ai jamais considéré cela comme un compromis car ce serait toujours mieux que tout ce que nous avions connu jusqu'à maintenant », a-t-elle indiqué.

MIRI et NIRSpec ont observé les cinq galaxies du Quintette de Stephan pour révéler les grandes forces gravitationnelles à l’œuvre entre les galaxies en interaction, et la formation d’étoiles que cela suscite en elles.
MIRI et NIRSpec ont observé les cinq galaxies du Quintette de Stephan pour révéler les grandes forces gravitationnelles à l’œuvre entre les galaxies en interaction, et la formation d’étoiles que cela suscite en elles.

L’un des plus grands obstacles technologiques à surmonter était que MIRI devait fonctionner à une température inférieure à celle des instruments proche infrarouge. Ceci a pu se réaliser grâce au mécanisme du refroidisseur cryogénique fourni par le Jet Propulsion Laboratory de la NASA. Pour être sensible aux longueurs d’onde de l’infrarouge moyen, MIRI fonctionne à la température d’environ –267° C. Celle-ci est inférieure à la température moyenne de surface de Pluton, qui est d’environ –233° C. Par coïncidence, c’est à cette température que les autres instruments et le télescope fonctionnent. Il s’agit respectivement d’une température extrêmement basse, mais à cause de cette différence, la chaleur du télescope s’infiltrerait toujours dans MIRI une fois qu’il serait relié au télescope, à moins que les deux ne soient thermiquement isolés l’un de l’autre. 

« Afin de minimiser les fuites thermiques, nous avons dû choisir des matières de harnais assez inhabituelles et recherchées pour réduire la conductance thermique d’un côté à l’autre », explique Brian O’Sullivan, ingénieur système MIRI pour l’ESA. 

Un autre défi était l’espace limité disponible pour l’instrument sur le télescope. Ce critère était d’autant plus difficile à respecter que MIRI devait être conçu sous forme de deux instruments, un imageur et un spectromètre. Cet impératif a nécessité un travail de conception très ingénieux. 

« Nous avons un mécanisme, et nous utilisons non seulement la lumière qui brille d’un côté, mais aussi l’autre côté, juste pour réduire le nombre de mécanismes que nous utilisons et l’espace que nous occupons. C’est une conception optique très intéressante et compacte », a précisé Brian. 

L’instrument utilise un chemin lumineux pour son imageur, et un autre pour son spectromètre

Même après l’achèvement et la livraison de l’instrument à la NASA pour l’intégration avec le reste du télescope, l’équipe devait relever d’autres défis. 

L’élaboration d’un tel télescope, extrêmement complexe, a pris plus de temps que quiconque ne l’avait imaginé et cela signifiait que MIRI et les autres instruments devraient survivre sur le terrain beaucoup plus longtemps que prévu à l’origine. Conçu pour rester sur Terre pendant environ trois ans avant son lancement, il a fallu près d’une décennie de plus avant que le vaisseau spatial soit mis en orbite. Pour assurer le bon fonctionnement de l’instrument, MIRI a été stocké dans des conditions strictement contrôlées et testé périodiquement. 

Puis, le jour de Noël 2021, une fusée Ariane 5 de l’ESA a transporté le vaisseau spatial en orbite lors d’un lancement sans faute. Dans les semaines et les mois qui ont suivi, les équipes au sol ont préparé le télescope et ses instruments et les ont remis aux scientifiques.

La vue fantomatique de MIRI sur les Piliers de la création dans la nébuleuse de l’Aigle donne aux piliers poussiéreux une vie splendide mais étrange. A l’intérieur de chacun, le petit « doigt » dépassant de ces grands piliers, un système solaire entier se forme.
La vue fantomatique de MIRI sur les Piliers de la création dans la nébuleuse de l’Aigle donne aux piliers poussiéreux une vie splendide mais étrange. A l’intérieur de chacun, le petit « doigt » dépassant de ces grands piliers, un système solaire entier se forme.

Aux côtés des autres instruments, MIRI renvoie désormais le type de données dont rêvaient les scientifiques. 

« Oui, ces premiers mois en particulier étaient assez surréalistes », a avoué Sarah Kendrew, scientifique de MIRI Instrument and Calibration pour l’ESA. « Nous avions effectué tellement de travail préparatoire avec des données simulées, donc dans un sens, nous savions à quoi ressembleraient les futures données. On pourrait regarder les images en pensant que tout cela nous semble très familier, mais en même temps il nous faudra réaliser que ça vient de l’espace ! » 

Les données de MIRI figuraient en grande partie dans les toutes premières images publiées par Webb, notamment les « montagnes » et les « vallées » de la nébuleuse Carina, le groupe de galaxies en interaction Stephan Quintet et la nébuleuse de l’anneau Sud. Les images ultérieures ont continué à émerveiller en termes de beauté et de résultats scientifiques. 

Cependant, étant donné que MIRI est un si grand pas en avant par rapport à tout autre instrument moyen infrarouge précédent, il place la barre encore plus haut en termes de capacité à interpréter les images. « MIRI nous offre beaucoup de nouveautés qui sont plus difficiles à interpréter, simplement parce qu'il est très différent de ce qu’il y avait auparavant », déclare Sarah. 

Mais c’est l’essence de la science ultime et les astronomes se précipitent déjà pour développer des modèles informatiques plus détaillés qui peuvent leur en dire plus sur les divers processus physiques qui permettent des lectures dans le moyen infrarouge. 

« MIRI offre un énorme potentiel de nouvelles connaissances, en particulier sur la formation des étoiles et les propriétés de la poussière et des galaxies. Cela peut prendre un peu plus de temps à interpréter, mais je pense que les découvertes scientifiques résultant des observations effectuées à l’aide de MIRI seront vraiment, mais vraiment substantielles », a rapporté Sarah. 

MIRI, avec les autres instruments de Webb, présente le potentiel de faire progresser tous les domaines de l’astronomie. C’est le genre de progrès qui ne se produit que grâce à une grande augmentation des capacités. Et c’est un témoignage remarquable du travail d’équipe et de la collaboration internationale qui ont abouti au télescope en général, et au MIRI en particulier. 

« Ce qui a permis à MIRI d’exister, c’est l’esprit d’équipe. Nous voulions tous la même chose, voir le progrès de la science. La volonté des gens de travailler ensemble et de résoudre les problèmes ensemble est vraiment ce qui a permis à MIRI d’exister », conclut Gillian. 

Et maintenant, le monde entier en profite.

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Les instruments de Webb : MIRI
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Plus d’information

James Webb est le télescope le plus grand et le plus puissant jamais lancé dans l’espace. En vertu d’un accord de collaboration internationale, l’ESA a assuré le lancement du télescope à l’aide du lanceur Ariane 5. Avec ses partenaires, l’ESA est responsable du développement et de la qualification des adaptations d’Ariane 5 pour la mission Webb et de l’approvisionnement des services de lancement par Arianespace. L’ESA a également fourni le spectrographe performant NIRSpec et 50 % de l’instrument infrarouge moyen MIRI, qui a été conçu et construit par un consortium d’instituts européens financés au niveau national (le consortium européen MIRI) en partenariat avec le JPL et l’université de l’Arizona. James Webb est le fruit d’un partenariat international entre la NASA, l’ESA et l’Agence spatiale canadienne (ASC).

Le consortium MIRI était composé d’institutions et d’industries de dix pays européens, de l’ESA et de la NASA. Les principaux partenaires du consortium étaient : UK Astronomy Technology Centre, Airbus UK, University of Leicester, Rutherford Appleton laboratory, Cardiff University, Royaume-Uni ; DIAS, Eire ; CSL, University of Leuven, Belgique ; CEA, LESIA/LAM, France ; INTA, Espagne ; University of Stockholm, Suède ; DTUSpace, Danemark ; NOVA IR  Group, University of Leiden, Pays-Bas ; MPIA Heidelberg, University of Köln, Allemagne ; ETH, Cover, Suisse.