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La mission Cluster: 20 années d’étude de la magnétosphère terrestre

17/08/2020 1509 views 6 likes
ESA / Space in Member States / France

Malgré une durée de vie nominale de deux ans, la mission Cluster de l'Agence spatiale européenne (ESA) entame sa troisième décennie dans l'espace. Depuis l’année 2000, cette mission unique constituée de quatre satellites a révélé les secrets de l'environnement magnétique de la Terre et, avec 20 ans d'observations à son actif, elle permet encore de faire de nouvelles découvertes en explorant la relation entre notre planète et le Soleil.

Étant la seule planète habitable connue à ce jour, la Terre occupe une place véritablement unique dans le système solaire. La mission Cluster, lancée au cours de l'été 2000, a été conçue et réalisée pour étudier ce qui constitue vraisemblablement le principal élément faisant de la Terre un monde unique en son genre où la vie peut se développer. Cet élément propice à la vie est la puissante magnétosphère de la Terre, qui protège notre planète d’un bombardement de particules cosmiques tout en interagissant avec celles-ci, créant des phénomènes spectaculaires, tels que les aurores boréales.

La magnétosphère terrestre est une région en forme de goutte d'eau qui commence à quelque 65 000 kilomètres de notre planète du côté jour et s'étend jusqu'à 6 300 000 kilomètres du côté nuit. Elle résulte de l'interaction entre le champ magnétique de la Terre, généré par les mouvements de son noyau constitué de métal en fusion, et le vent solaire. Cluster est la première mission à avoir étudié, modélisé et cartographié de manière détaillée et en 3D cette région ainsi que les processus qui s'y déroulent. Ce faisant, elle a contribué à faire progresser notre compréhension des phénomènes météorologiques de l'espace, qui découlent de l'interaction entre la magnétosphère et les particules énergétiques du vent solaire. Ces phénomènes peuvent non seulement nuire aux organismes vivants, mais aussi endommager les équipements électroniques, que ce soit au sol ou en orbite.

Rumba, Salsa, Samba et Tango

L'arc de choc et la magnétosphère de la Terre
L'arc de choc et la magnétosphère de la Terre

La mission Cluster comprend quatre satellites volant en formation pyramidale sur une orbite polaire elliptique. Les quatre vaisseaux spatiaux, baptisés Rumba, Salsa, Samba et Tango, transportent chacun une même charge utile de 11 instruments de pointe. Ces satellites ont été envoyés en orbite lors de deux lancements, le 16 juillet et le 9 août 2000.

Bien que la mission se soit révélée un énorme succès, ayant mené à de nombreuses percées scientifiques, ses débuts ne se sont pas déroulés sans accrocs. En effet, un dysfonctionnement du premier étage du lanceur Soyouz a laissé Rumba et Tango sur une orbite incorrecte, les obligeant à rejoindre Salsa et Samba grâce à leur propre propulsion et à l'étage supérieur Fregat de Soyouz. Cet incident s’est produit suite à l’échec du lancement des quatre vaisseaux spatiaux de Cluster I en 1996.

« Il y a 20 ans, l'ESA était quelque peu inquiète lors du lancement de la deuxième paire de satellites », reconnaît Philippe Escoubet, scientique sur le projet Cluster de l'ESA. « Depuis lors, la mission a fait d'énormes progrès et nous n’avons pas l’intention d’en rester là ».

Au cours de ces deux dernières décennies, les observations réalisées par la mission Cluster ont permis d’effectuer de nouvelles découvertes concernant les processus à l’œuvre dans la magnétosphère. Elles ont également permis d’expliquer comment l'atmosphère rendait la vie possible et ont fourni des informations essentielles sur la météorologie de l’espace, permettant ainsi d’effectuer en toute sécurité des communications par satellite ainsi que des voyages spatiaux ou aériens.

Une architecture unique

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Ce qui fait la force de la mission, ce n'est pas seulement la combinaison des quatre vaisseaux spatiaux, mais c’est aussi le fait que les opérateurs peuvent ajuster la distance séparant les quatre satellites entre 3 et 60 000 kilomètres selon l'objectif scientifique poursuivi.

« L’idée de travailler avec plusieurs satellites volant en formation constitue la clé du succès de Cluster », explique Philippe Escoubet. « En utilisant quatre satellites au lieu d'un seul, Cluster est capable de mesurer plusieurs zones de l'espace simultanément et ce de façon tout à fait unique. Cette technologie permet d’observer un événement ou une activité particulière, comme une tempête solaire, depuis plusieurs angles à la fois ».

Lorsque les satellites de Cluster sont davantage rapprochés, ils peuvent observer en détail les petites structures magnétiques présentes dans l'espace à petite distance de la Terre. Si les satellites sont plus éloignés les uns des autres, ils offrent plutôt une vue générale de types d’activités de plus grande ampleur. En suivant son orbite, Cluster vole à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la magnétosphère terrestre, ce qui lui permet d'étudier les phénomènes qui se produisent des deux côtés du bouclier magnétique protégeant notre planète.

L’énergie polaire

Cluster et Image pendant l'observation des aurores
Cluster et Image pendant l'observation des aurores

Alors que la plupart des missions observant les phénomènes magnétiques de la Terre se concentrent sur l'équateur où circulent de nombreux courants électriques, les quatre satellites de Cluster font le tour de la Terre sur une orbite polaire. Cette trajectoire leur permet de passer régulièrement au-dessus des deux pôles terrestres. Or, les régions polaires sont extrêmement dynamiques au point de vue de l’activité magnétique. En effet, dans ces régions, le vent solaire peut pénétrer plus profondément dans la haute atmosphère terrestre grâce aux cornets polaires, des ouvertures en forme d'entonnoir que l’on observe dans la magnétosphère située au-dessus des pôles. Ce phénomène donne naissance à des aurores spectaculaires.

C’est la capacité de Cluster à observer des latitudes plus élevées que celles enregistrées par d’autres missions qui en a fait un acteur clé dans l’élaboration d'une carte magnétosphérique de notre planète.

L'un des objectifs de ce projet consistait à cartographier de manière détaillée et en 3D la position et l'étendue de ce qu’on appelle le plasma froid se trouvant autour de la Terre. Ce plasma est constitué de particules chargées qui se déplacent lentement. On a de bonnes raisons de penser que ce plasma joue un rôle clé dans la façon dont les tempêtes solaires affectent notre planète. Or, ce plasma occupe la majeure partie de la magnétosphère jusqu’à 70% du temps, comme l’a découvert Cluster, non sans surprise. Cluster a également étudié la manière dont les parties internes de la magnétosphère terrestre réapprovisionnent d'autres parties en nouveau plasma. Les satellites ont détecté non seulement des ‘plumes plasmasphériques’ sporadiques qui poussent le plasma vers l'extérieur, mais aussi une fuite constante dans l’atmosphère par laquelle s’échappent près de 90 000 kilogrammes de matière par jour.

20 années de découvertes

Aurore sur un lac islandais
Aurore sur un lac islandais

En cartographiant le champ magnétique terrestre et en le comparant au magnétisme très faible observé actuellement autour de Mars, Cluster a réaffirmé l'importance de notre magnétosphère, véritable bouclier qui nous protège du vent solaire.

Cluster a permis d’étudier plus en détails la dynamique opérant dans la queue magnétosphérique, la partie de la magnétosphère qui s'étend « derrière » notre planète et s’éloigne du Soleil. La mission a pu observer que, dans cette région, le champ magnétique oscillait en amplitude sous l’influence d'ondes internes, et a permis de résoudre un mystère de longue date en déterminant que le phénomène du « bruit équatorial » (des ondes dans le plasma trouvées près du plan équatorial du champ magnétique terrestre) était généré par des protons.

En étudiant les caractéristiques spatiales de la magnétosphère externe, Cluster a permis de mieux comprendre comment les particules véhiculées par le vent solaire parvenaient à percer notre « bouclier » magnétique. Le vent solaire est constitué d’un flux de particules chargées qui sont projetées dans l’espace par le Soleil et se déplacent à une vitesse pouvant atteindre 2000 kilomètres à l'heure. Cluster a identifié des turbulences sous forme de « micro-vortex » qui affectent la façon dont l'énergie (la chaleur) est transportée par ce vent, et a découvert que, bien que notre magnétosphère nous protège des particules qui y pénètrent, elle est relativement poreuse, tel un tamis, et permet aux particules de vent solaire surchauffées de se frayer un passage.

En collaborant avec d'autres missions, Cluster a contribué à révéler en quoi consistaient les aurores « thêta » des hautes latitudes et les « aurores noires », moins connues quant à elles. Ces découvertes ont permis de comprendre de manière détaillée comment différentes régions de l'espace échangeaient des particules. Grâce à l’observation minutieuse de ce processus, la mission a également contribué à la découverte de l'origine des « électrons tueurs », des particules énergétiques présentes dans la ceinture externe de radiation de la Terre qui peuvent causer des dégâts aux satellites. Cluster a découvert que ces électrons apparaissaient lorsque les ondes de choc liées aux tempêtes solaires comprimaient les lignes de champ magnétique qui entourent la Terre. C’est cette compression qui, à son tour, fait vibrer les lignes de champ magnétique et fait accélérer les électrons à des vitesses élevées et dangereuses.

Cluster a étudié la dynamique d'un processus connu sous le nom de reconnexion magnétique et a ainsi fourni les premières observations in situ des lignes de champ magnétique lorsque celles-ci se rompent et se reforment. Une découverte qui a nécessité de multiples observations simultanées, comme seul Cluster pouvait le faire à l'époque. Les données récoltées par la mission Cluster ont également montré que l'énergie est libérée de manière inattendue lors de ces reconnexions. Grâce à ces observations, les scientifiques ont pu mieux comprendre la dynamique du plasma.

La météorologie spatiale et les tempêtes géomagnétiques, causées par l’interaction entre le Soleil et la Terre, sont des phénomènes que Cluster a étudié dans le but de permettre des ‘prévisions météorologiques spatiales’ plus précises et basées sur des informations solides. C’est pourquoi la mission a modélisé le champ magnétique terrestre à basse et à haute altitude. Elle a également pu identifier la dynamique complexe à l’œuvre dans le vent solaire lui-même. En analysant les archives scientifiques complètes de Cluster, les scientifiques ont également été en mesure, à la fin de l'année dernière, de publier le « chant » étrange de la Terre, émis par les ondes du champ magnétique lorsque notre planète est frappée par une tempête solaire.

Une mine de données en or

Tout au long de ses nombreuses années d'activité, Cluster a accumulé une quantité sans précédent de données concernant l'environnement de la Terre. C’est en s'appuyant sur ces données, récoltées par Cluster au cours de 18 années de travail, que les scientifiques ont récemment découvert, non sans étonnement, que le voisinage de notre planète était riche en fer. Ce qui prouve que les recherches effectuées par Cluster ont contribué et continueront à contribuer à de nouvelles découvertes scientifiques.

« L’étendue de notre base de données a permis de faire plusieurs découvertes véritablement révolutionnaires », ajoute Arnaud Masson, directeur scientifique adjoint de la mission spatiale Cluster de l’ESA. « Pendant deux décennies, Cluster a observé et enregistré en permanence la dynamique de la magnétosphère terrestre ainsi que ses propriétés. Ce travail minutieux a offert de toutes nouvelles opportunités aux scientifiques en leur permettant de repérer des tendances nouvelles ou à plus long terme sur différentes échelles spatiales et temporelles ».

Cluster, ainsi que d'autres satellites de l'ESA, ouvre également la voie à de futures missions telles que la mission sino-européenne SMILE (Solar wind-Magnetosphere-Ionosphere Link Explorer), dont le lancement est prévu en 2023. SMILE permettra d'approfondir nos connaissances sur l’interaction entre le Soleil et la Terre. Cette nouvelle mission se basera sur le travail remarquable réalisé par Cluster et veut ainsi en apprendre encore davantage sur l'environnement magnétique complexe et intrigant qui entoure notre planète.

« Cluster est une mission passionnante et véritablement à la pointe du progrès. Cela fait à présent deux décennies qu’elle nous envoie toutes sortes de nouvelles informations sur l'Univers qui nous entoure », déclare Philippe Escoubet. « Grâce à sa conception unique, sa longue durée de vie et ses technologies de pointe, Cluster a révélé une multitude de secrets sur l'environnement de la Terre. Cluster est toujours en plein essor et, dans les années à venir, elle continuera à nous aider à comprendre et à définir les phénomènes que nous voyons se dérouler autour de nous. C’est du moins ce que nous espérons ! »

Pour de plus amples informations

Cluster science archive: https://csa.esac.esa.int