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Webb liftoff on Ariane 5, 25 December 2021
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Il y a un an, le lancement parfait du télescope spatial James Webb

20/12/2022 2400 views 9 likes
ESA / Space in Member States / France

La voix a déroulé le compte à rebours en français de dix à un, puis annoncé «Décollage». La collaboration de 15 ans entre la NASA, l’ESA et l’Agence spatiale canadienne venait d’entrer dans sa phase la plus critique : le lancement proprement dit. Il ne restait plus qu'à attendre pour savoir si le télescope spatial James Webb allait bien arriver à destination.

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Les moments forts de la campagne de lancement de Webb
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«Le jour du lancement, la pression était intense. Nous étions très confiants dans notre capacité à réussir car nous avions eu pratiquement 15 ans de préparation, mais la pression était néanmoins forte ; nous avions eu un certain nombre de problèmes techniques à résoudre  pendant cette longue campagne de lancement», confie Daniel de Chambure, chef du bureau de l’ESA à Kourou, en Guyane, et précédemment responsable du projet Webb d’Ariane 5. 

Ce n’est pas une exagération que de dire que le monde entier avait les yeux rivés sur WebbDes années de développement et de promesses avaient fait de Webb un successeur très attendu du télescope spatial Hubble de la NASA/ESA.Webb n’était rien de moins qu’un « moment Apollo » pour l’astronomie, une mission extraordinairement complexe et ambitieuse. L’humanité attendait son prochain «grand œil dans le ciel», un pas de géant dans la capacité technologique qui étendrait notre vision jusqu’aux origines mêmes des galaxies et des étoiles. 

Les espoirs d’une nouvelle génération d’astronomes reposaient sur le passager de la coiffe du lanceur Ariane 5 fourni par l’ESA qui venait de disparaître dans les nuages au-dessus du Port spatial de l’Europe situé à Kourou, en Guyane française.

La phase propulsée en elle-même allait durer environ 30 minutes. L'équipe de Kourou aurait terminé sa mission dès qu'elle aurait reçu la confirmation que Webb avait automatiquement déployé son panneau solaire, produisait sa propre énergie et communiquait avec l’équipe du Space Telescope Science Institute (STScI) à Baltimore, dans le Maryland, aux États-Unis.

Répétitions et simulations

Massimo Stiavelli, qui dirige le bureau de la mission Webb à Baltimore, savait que les enjeux étaient importants : pas de panneau solaire, pas de mission. Dans les années qui ont précédé ce moment, Massimo et l’équipe des opérations de vol de STScI ont effectué des répétitions à plusieurs reprises pour savoir quoi faire avec Webb une fois qu’il serait dans l’espace. Ces répétitions étaient entièrement simulées sur ordinateur, elles semblaient donc très réelles. Au début, tout était «nominal», c’est-à-dire que le télescope spatial se comportait comme prévu. Ensuite, la petite équipe d’ingénieurs qui a programmé les simulations a commencé à injecter des problèmes aléatoires dans le dispositif ; l’équipe de vol devait les diagnostiquer et les corriger. 

«Le plus effrayant d’entre eux a eu lieu lors d'une répétition où le panneau solaire ne s’est pas déployé. Nous fonctionnions sur batteries et dans ce cas vous savez que vous allez manquer d’énergie à un moment donné», explique Massimo.

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Le voyage de James Webb, vers et dans l'espace
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Durant la simulation, l’équipe de Massimo a tout essayé. Elle a envoyé des commandes manuelles pour ordonner le déploiement. Lorsque cela n’a pas fonctionné, elle a programmé des  «pas de danse» destinés à secouer le télescope spatial dans l’espoir de débloquer le panneau. Finalement, alors que le temps était compté et que l’équipe avait essayé toutes les astuces du manuel, la simulation a marché et le panneau s’est déployé. 

«C’était très tendu, et nous ne voulions surtout pas que cela se reproduise dans la réalité», explique Massimo. 

Mais avant que les opérateurs de vol ne prennent le relais, Daniel et son équipe devaient tenir leur promesse de mettre Webb en orbite en toute sécurité. 

Lancement d'une extrême précision

La journée a commencé tôt. Daniel s’est réveillé à 4 h 00 ce matin de Noël et s’est rendu au travail, où il a confirmé que tout était encore nominal avec le lanceur sur le pas de tir. Une heure et demie avant le lancement, il est entré dans la salle de contrôle principale et a supervisé l’achèvement des dernières tâches avant le lancement. Dans le cadre d’une procédure standard, toutes ces préparations finales doivent être terminées quarante minutes avant le lancement. Ensuite, l’équipe attend.

«Avec l'attente, le stress vous gagne peu à peu», avoue-t-il. Pour se changer les idées, il a rencontré les médias afin de répondre à leurs questions. Puis, sept minutes avant le lancement, il est retourné dans la salle de contrôle alors que le compte à rebours final commençait.

 Tout était automatique à ce stade. L’équipe des opérations de vol a consacré toute son attention à la surveillance de l’état du lanceur – prête à interrompre le lancement si quelque chose tournait mal. Dans les dernières secondes, l’allumage a eu lieu : d’abord le moteur principal, puis sept secondes plus tard les EAP (Étages d’Accélération à Poudre). 

Le lanceur a quitté le pas de tir. Les opérateurs ont continué à surveiller les informations de télémétrie transmises par le lanceur, à la recherche du moindre écart par rapport à ce qu’ils avaient prédit. 

L’équipe a suivi la phase propulsée et ses différentes étapes. La séparation des EAP tout d’abord, puis la séparation de la coiffe,  qui s’est ouverte en deux moitiés pour révéler Webb à une altitude de 110 km. Le premier étage s’est ensuite séparé, et le deuxième étage s’est allumé puis arrêté. Ariane a finalement libéré Webb à 1 400 km d’altitude. La caméra placée sur l’étage supérieur du lanceur a observé le télescope spatial qui s’éloignait, ajustant sa trajectoire au fur et à mesure. Quelques minutes plus tard, alors qu’il était précisément sur sa trajectoire, Webb a automatiquement déployé son panneau solaire et a commencé à communiquer avec l’équipe de Massimo à Baltimore. Daniel et son équipe avaient accompli leur mission. 

Mais ça ne s’est pas passé tout à fait comme ça.

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La séparation de James Webb et d'Ariane 5
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Les équipes avaient supposé que Webb dériverait hors du champ de vue de la caméra du lanceur pendant les quelques minutes qu’il lui faudrait pour calculer et exécuter sa manœuvre de trajectoire, et que le déploiement du panneau solaire s’effectuerait sans témoin. Mais le panneau solaire s’est déployé seulement 70 secondes après la séparation. 

À Kourou, la raison en était évidente. Le lancement d’Ariane avait été si précis que la manœuvre de correction d’attitude était superflue. Le logiciel embarqué de Webb s’en est rendu compte et il est donc passé à la tâche suivante de la liste, qui consistait à déployer le panneau solaire et à prendre contact avec Baltimore.

C’était une confirmation étonnante de la précision du lancement. 

«Je me souviens encore des réactions des différents collègues de l’ESA et de la NASA autour de moi quand c’est arrivé. Tout le monde était vraiment heureux», déclare Daniel.

Des adaptations spécifiques

Webb et Ariane 5 : faits l'un pour l'autre
Webb et Ariane 5 : faits l'un pour l'autre

L’extrême précision de l’injection au moment de  la séparation était le résultat d’adaptations additionnelles que l’équipe de Kourou avait effectuées. La première a été la décision de calibrer les unités de mesure inertielle (IMU) du lanceur le plus tard possible avant le lancement lui-même. Ces unités renvoient des informations sur le comportement du lanceur et les réinjectent dans les calculs embarqués qui contrôlent les systèmes de guidage. Étant si soigneusement calibrée, Ariane 5 savait exactement où elle se trouvait et où elle allait. 

Deuxièmement, l’équipe a fait très attention à vérifier l’appairage et l’alignement des turbopompes de l’étage supérieur, de sorte qu’il n’y ait pas de perturbation après l’allumage de l’étage supérieur et que la trajectoire reste parfaite. 

Au-delà de la trajectoire, l’équipe a également apporté une autre modification spéciale, cette fois pour protéger Webb lui-même. La NASA était extrêmement préoccupée par le fait que toute atmosphère résiduelle dans la coiffe pourrait faire gonfler des bulles d’air emprisonnées dans les replis des couches du pare-soleil du télescope, qui pourraient ainsi arracher certaines de ses délicates couches. L’’ESA a donc développé un système qui forcerait les dernières molécules d’air à sortir de la coiffe avant que celle-ci ne se sépare et n’expose Webb au vide de l’espace. «C’était aussi une grande réussite pour nous de voir que la pression résiduelle était bien inférieure aux exigences après plusieurs démonstrations effectuées sur les vols précédents d’Ariane 5», déclare Daniel. 

Bien que la confirmation que ce système ait fonctionné ne soit venue que plus tard, lorsque le pare-soleil a été déployé et s’est avéré intact, le déploiement précoce du panneau solaire était immédiatement visible pour l’équipe. La valeur réelle de l’extrême précision d’injection du lanceur n’a été révélée que plus tard lorsque l’équipe de Baltimore a ordonné au véhicule spatial d’effectuer une autre manœuvre. 

Massimo était de service alors que l’équipe se préparait pour la correction de mi-parcours 1a. C’était la dernière poussée, essentielle pour s’assurer que Webb allait atteindre avec succès sa position désignée à 1,5 million de km de la Terre. Pour calculer le temps de combustion nécessaire, Webb a été suivi pendant près de 12 heures, puis l’équipe de dynamique de vol du Goddard Space Flight Center de la NASA a calculé les chiffres. C’est alors que l’ampleur de la réussite d’Ariane a commencé à devenir vraiment évidente. 

L’injection orbitale avait été si précise que la combustion ne serait pas du tout aussi longue que prévu. «Dès cet instant, nous savions que nous allions avoir du carburant supplémentaire», raconte Massimo. 

Après la manœuvre, ils ont recommencé le suivi et le calcul. Il s’est avéré que le carburant économisé pourrait désormais être utilisé pour aider Webb à rester sur son orbite opérationnelle, et ainsi prolonger la durée de vie de la mission.

L'article continue après le diaporama.

Une durée de mission multipliée par deux 

Une fois les calculs terminés, la NASA a annoncé que, grâce à l’ESA et à ses partenaires contributeurs Arianespace, ArianeGroup et le CNES, la durée de vie de Webb avait été multipliée par deux. Au lieu d’une mission de 10 ans, Webb transportait suffisamment de carburant pour rester opérationnel pendant 20 ans. Le double d’observations, le double de recherche scientifique, le double de découvertes.

En transformant un lancement de routine en la plus belle aventure d’Ariane 5, l’équipe européenne avait doublé le prochain grand pas de l’humanité vers la compréhension de ses origines. 

«Ce fut un très beau moment et une récompense pour nous tous, surtout après les nombreux remerciements reçus de l’équipe du projet Webb de la NASA», déclare Daniel. 

Sur le moment, cependant, la célébration fut plutôt discrète. Le lancement se déroulant le jour de Noël 2021, la plupart des personnes impliquées tenaient à rentrer chez elles auprès de leurs familles. Mais les souvenirs de ce qu’elles ont accompli ce jour-là sont encore forts. 

«Sur la base, les gens sont très fiers d’avoir lancé Webb. Ils continuent à porter leurs polos Webb», explique Daniel. Et dans l'univers discret des opérations spatiales, il ne peut y avoir de plus grande fierté que cela.

Plus d'informations

James Webb est le télescope le plus grand et le plus puissant jamais lancé dans l’espace. En vertu d’un accord de collaboration internationale, l’ESA a assuré le lancement du télescope à l’aide du lanceur Ariane 5. Avec ses partenaires, l’ESA était responsable du développement et de la qualification des adaptations d’Ariane 5 pour la mission Webb et de l’approvisionnement des services de lancement par Arianespace. L’ESA a également fourni le spectrographe performant NIRSpec et 50 % de l’instrument infrarouge moyen MIRI, qui a été conçu et construit par un consortium d’instituts européens financés au niveau national (le consortium européen MIRI) en partenariat avec le JPL et l’université de l’Arizona. James Webb est le fruit d’un partenariat international entre la NASA, l’ESA et l’Agence spatiale canadienne (ASC).