De Spacelab à Gateway : 40 ans de modules habités dans l’espace
La première mission de vol habité de l’ESA a décollé il y a 40 ans aujourd’hui. Accompagné du premier astronaute de l’ESA, Ulf Merbold, le module Spacelab a pris son envol à l’intérieur de la soute de la navette spatiale, transformant le « cargo de l’espace » de la NASA en mini-station spatiale pour la recherche scientifique. L’Europe continue à ce jour d’être très active dans le domaine des modules habités.
Après Spacelab, il y a eu le laboratoire Columbus de l'ESA parmi de nombreux autres modules de la Station spatiale internationale – comme les nœuds Node 2 et Node 3 ainsi que Cupola, la coupole d’observation de la Terre – les véhicules cargo ATV et Cygnus, le Module de service européen de l’orbiteur lunaire Orion, des modules pour la station spatiale privée Axiom et désormais des éléments cruciaux de la station Gateway qui sera en orbite autour de la Lune.
L’héritage industriel de Spacelab est clair. Les entreprises impliquées ont changé plusieurs fois de nom depuis les années 1970, mais les coques pressurisées sont encore usinées à partir de l’alliage aluminium-cuivre 2219 de qualité spatiale à Turin, en Italie - dans des locaux gérés aujourd’hui par Thales Alenia Space.
Dans certains cas, ces coques continuent d’être intégrés sur place à Turin, par exemple les modules Gateway de l’ESA. Pour d’autres lignes de produits, comme les ESM d’Orion, ce sont dans les salles d’intégration de Brême en Allemagne que sont ajoutés les équipements nécessaires pour leur permettre d’affronter l’espace, comme pour Spacelab il y a plus de quatre décennies. Ces salles font partie d’une installation d’Airbus Defence and Space.
Maintenir le vide à distance
Les coques pressurisées sont un élément fondamental de la conception du module, et servent à maintenir le vide spatial à distance. Elles sont faites de tôles de quelques millimètres d’épaisseur, façonnées en cylindres, reliées entre elles par des embouts coniques. Spacelab mesurait 6,7 m de long pour un diamètre de 4,1 m, ce dernier étant fixé par les dimensions de la soute de la navette dans laquelle il prenait place. Columbus et les autres modules européens de la Station spatiale internationale ont des diamètres juste légèrement plus grands pour la même raison.
A titre de comparaison, le module international d’habitation de l’ESA destiné à la station lunaire Gateway, I-Hab, mesure environ 8 m de long mais seulement 3 m de diamètre – soit la même largeur que la coque pressurisée fabriquée à Turin pour Cygnus, un cargo de ravitaillement de la Station spatiale internationale. L’autre module de l’ESA destiné à la station Gateway, le module de ravitaillement ESPRIT, mesure 6,4 m de long et 4,6 m de diamètre mais une grande partie de son volume est occupé par des réservoirs de carburant, ainsi qu’un tunnel pressurisé équipé de hublots que les astronautes pourront parcourir, et qui a la même longueur et le même diamètre que I-Hab.
« Les éléments de la station Gateway sont peut-être plus petits que les précédents modules européens mais ils devraient aussi être plus solides », explique Joao Gandra, ingénieur matériaux et procédés à l’ESA. « La grande différence est que – tout comme pour les dernières coques pressurisées européennes pour Axiom et Cygnus – elles sont désormais soudées par un procédé de soudure par friction-malaxage, qui ramollit les métaux plutôt que de les faire fondre, et utilise les frottements pour les assembler. Alors que la soudure traditionnelle peut résulter en des contraintes dans les joints, cette technique se traduit par des soudures plus solides aux performances améliorées. »
« Aujourd’hui, tous nos modules sont fabriqués de cette manière », ajoute Walter Cugno, VP Exploration et Science chez Thales Alenia Space, et qui a travaillé sur Spacelab en tant qu’ingénieur assurance produit. « Notre capacité à fournir des éléments pressurisés – bâtis dans un premier temps grâce à des projets ESA, ainsi que des accords bilatéraux entre l’Agence spatiale italienne ASI et la NASA pour produire des modules de la Station spatiale internationale – est un atout clé pour toutes les initiatives d’exploration humaine, en orbite terrestre basse, sur la Lune et un jour sur Mars ».
À bord de la station Gateway, composée de plusieurs modules, I-Hab servira de lieu de vie pour des équipages de quatre personnes pendant 30 jours d’affilée.
Mark Wagner, chef de l’équipe de Référence, de vérification et d’assemblage, d’intégration et de test de la station lunaire Gateway à l’ESA, aide à faire en sorte que le module soit prêt à la fois à être utilisé, et pour son lancement actuellement prévu en 2028.
Collaboration avec les partenaires de la station Gateway
Mark explique : « Il ne s’agit que d’un seul module au sein d’une station composée de plusieurs modules, nous devons donc vérifier que I-Hab est compatible avec toutes les interfaces convenues avec nos agences partenaires comme la NASA, l’Agence spatiale canadienne et l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise. En plus de cela, nos plannings de développement ne sont pas parallèles : le module HALO de la NASA – dont la coque pressurisée provient également de Turin – et l’Élément de puissance et de propulsion PPE seront les premiers à décoller. Nous devons nous assurer que toutes les interfaces et fonctions intermodules sont compatibles avec le reste du programme international Gateway.
« Par exemple, le Système de contrôle environnemental et de support de vie d’I-Hab, fourni par la JAXA, doit collaborer avec son équivalent situé dans HALO. Le système de contrôle thermique du module I-Hab est interconnecté via des échangeurs thermiques avec les autres modules et les véhicules amarrés ; ces échangeurs thermiques desservent tout l’avant-poste Gateway afin d’évacuer des charges thermiques dans l’espace profond au moyen de radiateurs externes. Ces systèmes ainsi que d’autres systèmes combinés doivent fonctionner parfaitement ensemble. »
Des quartiers étroits
La taille relativement petite d’I-Hab a été fixée par des contraintes de masse au lancement. Les concepteurs du module ont dû relever le défi d’installer tous les systèmes nécessaires dans seulement 10 mètres cubes de volume habitable, dont du matériel scientifique, des équipements de cuisine avec notamment une table amovible, du stockage, les équipements de support de vie et même quatre cabines privées pour dormir.
« Les précédents modules de la Station spatiale internationale – comme Spacelab avant eux – ont été conçus avec une orientation haut et bas pour faciliter la tâche aux astronautes.. Avec I-Hab, nous n’avons pas vraiment ce luxe, car nous devons utiliser l’ensemble de l’espace disponible aussi efficacement que possible, tout en répondant à toutes les exigences liées aux facteurs humains et aux performances de l’équipage. »
Il n’y aura toutefois pas de toilettes pour l’instant ; l’équipage devra rejoindre Orion pour cela. Les premières expéditions devront emporter leurs propres consommables avec elles, une des raisons, avec les niveaux élevés de rayonnement dans l’espace profond, pour lesquelles les missions seront limitées à 30 jours à la fois. Ainsi, pendant la majeure partie de chaque année, la station Gateway sera inoccupée et devra être par conséquent être surveillée.
Testé par des astronautes
Pour vérifier que I-Hab est un endroit approprié pour vivre et travailler, l’équipe de développement du module s’est tournée vers des astronautes ESA vétérans dont Samantha Cristoforetti, Alexander Gerst et Luca Parmitano, pour des évaluations précoces de la conception par des humains. Il y aura également des campagnes de tests par des humains grâce à une maquette représentative d’I-Hab installée chez Thales Alenia à Turin et via la réalité virtuelle – et ultérieurement en combinant les deux sous la forme d’applications de réalité augmentée.
« Nous visons vraiment à tirer parti de l’expérience de travail qu’ils ont développée à bord de la Station spatiale internationale », ajoute Mark. « Ils aident notre équipe de développement à vérifier toutes sortes de variables, telles que la qualité de l’éclairage, la lisibilité des étiquettes, la disposition des issues de secours, et même les compartiments de l’équipage – à quel point ils sont adaptés à la vie privée et au sommeil. »
I-Hab visera le même environnement de travail que celui conçu pour Spacelab et les modules de la Station spatiale internationale, avec une température de 22 °C et 50 % d’humidité, même si la pression atmosphérique sera de 0,7 atmosphère, contribuant ainsi à diminuer la masse, par rapport à la pression au niveau de la mer qui règne à bord de la Station spatiale internationale.
Mark ajoute : « Bien qu’il soit plus petit, I-Hab sera plus inclusif dans le sens où nous concevons pour accommoder 99 % des astronautes, ce qui signifie que presque tous, de la plus petite astronaute féminine au plus grand astronaute masculin, pourront utiliser les équipements facilement et confortablement – comme ouvrir les écoutilles ou déconnecter rapidement des conduites de fluide – par rapport à 95% à bord de la Station spatiale internationale.»
Le développement d’I-Hab a terminé sa revue de conception préliminaire (PDR) et en est actuellement à sa phase de conception détaillée. Pour le deuxième module Gateway fourni par l’ESA, ERM – le module de ravitaillement ESPRIT –, l’accord contractuel est actuellement en cours de finalisation, et sa PDR est prévue prochainement.
Ce dernier exemple de développement européen de modules habités a une durée de vie prévue de 15 ans bien que, si l’on en juge par l’exemple de la Station spatiale internationale, il devrait continuer à fonctionner encore beaucoup plus longtemps.
Sur la base de l’architecture actuelle de l’avant-poste lunaire Gateway, plus de la moitié de cette inspirante station spatiale sera originaire d'Europe.
Le modèle de module européen de base inspiré du Spacelab semble susceptible de s’aventurer encore plus loin dans l’espace, avec un contrat récemment signé entre l’ASI et Thales Alenia Space pour concevoir des modules pour la surface lunaire, qui s’inscriront dans le cadre d’une future base lunaire.